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Les écomusées, une utopie en crise

Envoyé par : jean-luc saint-marc (Adresse IP journalisée)
Date : Thu 18 November 2004 19:36:34

PATRIMOINE

Les écomusées, une utopie en crise

Dans les années 1970, les musées, jugés bourgeois et élitistes, paraissaient voués à la disparition.
Aujourd'hui, les écomusées, qui avaient été créés pour valoriser le social et non les ouvres, cherchent une nouvelle définition.

Longtemps l'Ecomusée du Creusot a été une institution modèle. Né dans la mouvance de mai 1968, il a fait rêver de nombreux militants, mais aussi le monde des musées et beaucoup de professionnels de la culture. Pourtant son trentième anniversaire se fête dans la douleur. Le 1er juillet, l'assemblée générale de l'écomusée a refusé le rapport de son président, Louis Bergeron, ancien directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elle a même imposé le départ de ce pape de l'archéologie industrielle qui souhaitait poursuivre son action.

Des difficultés financières, croissantes depuis 1999, aboutissent, cette année, au licenciement de cinq personnes sur les quinze qui travaillent dans l'établissement. Son directeur, Patrice Notteghem, cherche un autre poste. Bernard Paulin, élu socialiste chargé de la culture à la municipalité du Creusot (Saône-et-Loire), remplace provisoirement Louis Bergeron pour tenter de sortir de la crise. Un cabinet d'étude doit redéfinir les missions de l'écomusée et proposer de nouvelles structures juridiques - c'est actuellement une association loi de 1901.

A quoi la crise est-elle due ? Elle a des raisons économiques : le budget, de 1,2 million d'euros en 2003, devrait être ramené à 735 000 euros en 2005. Elle s'explique aussi par une certaine désaffection du public : 20 000 personnes visitent chaque année l'exposition permanente au château de la Verrerie, ce qui reste insuffisant. Enfin, disent certains, l'utopie a fait long feu.

Est-ce la fin d'un rêve ? Dans les années 1980, une soixantaine d'établissements avaient revendiqué le titre d'écomusée. Il en reste aujourd'hui une trentaine. Certains ont fermé leurs portes (Ecomusées des pays d'Oise, du Nord-Dauphiné), d'autres sont en quasi-sommeil (les Forges d'Hennebont, dans le Morbihan) ou souffrent d'une grave désaffection (Ecomusée de Fourmies-Trélon, dans le Nord). Quelques-uns ont changé de nom : celui de Saint-Quentin-en-Yvelines est devenu le Musée de la ville. L'Ecomusée d'Alsace, à Ungersheim, affiche, en revanche, sa bonne santé avec 300 000 entrées par an, mais c'est le "mouton noir" de la bande, renié par nombre de ses confrères.

RESTITUER DES MÉMOIRES

Pourtant, au lendemain de Mai 68, cette institution à peine éclose semblait une solution de rechange pour les institutions muséales sclérosées. Le ministre des affaires culturelles, Jacques Duhamel, évoquait publiquement, en 1971, la "crise des musées", qui, disait-il, "relève du doute sur la fonction même du musée".

Le même diagnostic était partagé par une grande partie du monde culturel : "La signification historique de l'institution appelée musée est en voie de disparition, prophétisait, dès 1969, le chercheur Hugues de Varine. La conservation de l'héritage culturel de l'homme ne se justifie plus par le simple goût (ou le snobisme) du passé ni par la recherche gratuite menée par des intellectuels pour des intellectuels. Le musée est donc théoriquement appelé à disparaître en même temps que l'âge, le monde, la classe sociale qui l'ont créé : âge préindustriel, monde européen, classe bourgeoise cultivée." Il concluait : "Une simple réforme de l'institution ne résoudrait rien." Jean Clair, aujourd'hui directeur du Musée Picasso, n'était pas plus optimiste : "Tout laisse penser que le XXe siècle verra son déclin, sinon sa disparition", écrivait-il dans la revue L'Art vivant (octobre 1971).

A l'inverse du musée traditionnel, temple de la culture intemporel et universel, et dont les collections constituent le pivot, l'écomusée, ancré sur un territoire, dans un contexte social et culturel bien défini, ne se contente pas de valoriser des objets. Il veut prendre en compte l'ensemble des phénomènes naturels et culturels du territoire. Il veut valoriser des savoirs, des savoir-faire, des mémoires qu'il s'agit de restituer et de mettre en forme par des biais divers (inventaires, publications, expositions, films, enquêtes, etc.). Ce travail, piloté par des experts (muséologues, ethnologues, sociologues, philosophes, écrivains), doit se faire en liaison étroite avec la population, à la fois acteur et sujet d'étude.

Les premiers écomusées sont créés à l'initiative de Georges-Henri Rivière, le père du Musée national des arts et traditions populaires. Celui de Marquèze, dans les Landes, est inauguré en 1969. Ce sont des musées de plein air, relevant d'une culture rurale, liés aux parcs régionaux. Au Creusot, Marcel Evrard et Hugues de Varine veulent aller beaucoup plus loin. S'appuyant sur la communauté urbaine du Creusot-Montceau-les-Mines qui vient d'être créée et qui regroupe seize communes disparates, ils entendent faire du musée un ferment révolutionnaire. L'écomusée est d'abord l'instrument dynamique du changement social. "La communauté tout entière constitue un musée vivant dont le public se trouve en permanence à l'intérieur. Le musée n'a pas de visiteurs, il a des habitants, annonce Hugues de Varine. Tout objet, meuble ou immeuble, se trouvant à l'intérieur de la communauté fait partie du musée : cela introduit une sorte de droit de propriété culturelle sans rapport avec la propriété légale."

Georges-Henri Rivière est chargé d'installer une "exposition permanente évolutive", destinée à recenser l'espace de la communauté urbaine à travers les âges, dans tous les domaines, géographique, géologique, historique, économique et social. Celle-ci est logée, en 1974, dans le château de la Verrerie, ancienne demeure de la famille Schneider, les maîtres de forges qui ont régné sur la ville jusqu'en 1960. Le Creusot devient alors un lieu de ralliement international, laboratoire où doit se forger une société nouvelle.

"DES ÉLÉMENTS POSITIFS"

Ce succès d'estime va masquer les crises qui secouent très vite la jeune institution. En 1984, Marcel Evrard et son équipe quittent l'écomusée - c'est aussi l'année où le groupe sidérurgique Creusot-Loire dépose son bilan. Les anciens ingénieurs de la société, en conflit avec l'écomusée, reprennent les archives du groupe ainsi que les éléments du "Musée Schneider", confié à l'institution, et ouvrent leur propre espace : l'Académie François-Bourdon. En 1995, une grande exposition sur la famille Schneider est organisée conjointement par le Musée d'Orsay de Paris et l'écomusée. La manifestation est un succès, mais les traces qu'elle va laisser au château de la Verrerie vont contribuer à brouiller davantage le projet muséographique déjà perturbé.

Depuis 1995, Louis Bergeron se consacre à l'action internationale. Cela n'empêche pas l'établissement de replonger dans une crise dont il n'est pas encore sorti. "Ces crises me désolent, indique Bernard Paulin, mais elles ne me désespèrent pas. Ce sont paradoxalement des éléments positifs qui permettent de rebondir."

L'élu est persuadé qu'une heureuse solution finira par s'imposer. Elle est, pour lui, d'autant plus nécessaire que la ville a largement bénéficié de l'aura de l'écomusée : "Le Creusot a une image noire, injuste, de ville perdue. Le rayonnement de l'écomusée est au contraire très positif, surtout à l'étranger. Paradoxalement, la ville va beaucoup mieux que l'écomusée. Mais ce dernier a joué un rôle capital pour souder notre communauté urbaine. Il a contribué à donner une identité à cet ensemble composite. Il faut maintenant doter l'institution de statuts nouveaux et de nouvelles missions. Mais j'aimerais que l'on garde quelque chose de son utopie fondatrice."


Emmanuel de Roux

Le Creusot (Saône-et-Loire) de notre envoyé spécial


LE MONDE | 18.11.04 | 14h49

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