Généralités et Environnement

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Les oiseaux s'orientent avec l'odorat !

Envoyé par : Richard Taix (Adresse IP journalisée)
Date : Tue 18 November 2003 21:27:23

Bonjour,

Voici un message très intéressant envoyé par André Boussard dans la liste Aves et éxtrait de la revue "La Recherche" du 1/11/2003 : elle donne une nouvelle hypothèse sur l'orientation des oiseaux.

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Comment expliquer la facilité avec laquelle certains oiseaux sillonnent la
surface du Globe sans pour autant perdre le nord ? De la boussole solaire en passant par la carte magnétique, les théories explicatives se sont succédé.
La plus récente d'entre elles, l'orientation par olfaction, commence à faire
la preuve de sa pertinence.
Février 2003 : la revue Animal Behaviour publie un article retraçant
l'historique des concepts sur l'orientation des oiseaux [1]. Le propos est
encyclopédique mais peu objectif. Sur douze pages, les auteurs, deux
spécialistes allemands de l'université de Francfort, Roswitha et Wolfgang
Wiltschko, ne mentionnent en effet que par trois phrases évasives l'une des principales théories actuelles, l'orientation olfactive des oiseaux.
Résultat : un autre biologiste allemand, de l'institut Max Planck, Hans
Wallraff, s'enflamme et exige le droit à un article rectificatif [2].
Dernier incident en date d'un conflit qui secoue les spécialistes de
l'orientation des oiseaux depuis les années soixante-dix, cette querelle de
publication fait écho à d'autres affrontements, verbaux ceux-là. En 1997, en plein colloque du Royal Institute of Navigation, à Oxford, une violente
dispute éclate entre Wolfgang Wiltschko et Hans Wallraff. Le débat
théorique, en anglais, glisse rapidement vers un échange d'interjections
germaniques sans équivoque. Les deux scientifiques sont, depuis, en froid.
Au-delà de la rancoeur individuelle, cet esclandre finit de fâcher deux
courants de pensée : celui de l'orientation par magnétisme, emmené par
Wolfgang Wiltschko, et celui de l'orientation olfactive, représenté par Hans
Wallraff et Floriano Papi, de l'université de Pise. Deux concepts qui sont
pourtant issus de la même théorie, émise dans les années cinquante par un biologiste allemand, Gustav Kramer. En 1957, celui-ci propose une vision
pour le moins anthropomorphique de l'orientation [3].
À l'image du randonneur qui chercherait sa route, les oiseaux utiliseraient
une carte et une boussole pour se déplacer en milieu non familier : la
carte, représentation à deux coordonnées, servirait à se repérer dans
l'espace, tandis que la boussole permettrait de suivre un cap pour atteindre
l'objectif. Une idée simple issue d'une expérience menée un an plus tôt par
Gustav Kramer chez des étourneaux, espèce qui effectue des migrations
saisonnières. Après avoir placé ces oiseaux dans une cage opaque, le
biologiste modifie la position apparente du Soleil par un système astucieux
de miroirs. Il observe alors que les oiseaux changent d'orientation pour
faire face aux rayons lumineux. Kramer interprète ce phénomène par la
présence d'une boussole solaire et extrapole : sans carte, une telle
boussole ne servirait à rien. La théorie de la navigation par carte et
boussole est née.
L'existence de la boussole solaire est définitivement démontrée par Klaus
Schmidt-Koenig en 1958. Un tel mécanisme n'est envisageable que dans la
mesure où les oiseaux sont capables de compenser les mouvements apparents du
Soleil au cours de la journée pour s'orienter. Klaus Schmidt-Koenig enferme
alors des pigeons dans des cages pendant cinq jours et les soumet à une
alternance jour/nuit modifiée par rapport à l'extérieur. Ce faisant, il
dérègle l'horloge interne des oiseaux qui, une fois relâchés, empruntent une
direction d'envol décalée par rapport à des pigeons témoins. Des expériences
similaires menées sur d'autres espèces permettent ensuite de généraliser le
modèle. Dès qu'ils en ont l'occasion, les oiseaux utilisent la position du
Soleil pour s'orienter.
Le débat n'en est pas clos pour autant. D'autres observations montrent que
les oiseaux peuvent parfaitement s'orienter alors même que leur boussole
solaire est inutilisable, par temps couvert ou de nuit par exemple. Il doit
donc exister d'autres mécanismes d'orientation.
En 1968, une équipe allemande propose la théorie de la boussole magnétique.
Wolfgang Wiltschko relâche des rouges-gorges migrateurs en pleine période de
départ vers le site d'hivernage. Sans hésitation, ces derniers s'envolent
vers le sud-ouest. Il réitère alors l'expérience, en plaçant cette fois les
oiseaux dans une caisse où le champ magnétique est inversé. Résultat : les rouges-gorges empruntent le cap opposé [4] ; certains oiseaux migrateurs possèdent donc une boussole magnétique. Ses conclusions, reprises immédiatement par la presse, font la réputation de son auteur. L'engouement est tel que Wolfgang Wiltschko et d'autres scientifiques reprennent l'idée de la carte de Kramer et affirment que le magnétisme servirait de base à un système bicoordonné fondé sur les variations locales du champ magnétique terrestre. Ce dernier point est, aujourd'hui encore, le plus discuté de la théorie de Wiltschko [5].

Théories concurrentes

Démontrée chez certains passereaux (voir notes), l'existence d'une boussole
magnétique est moins certaine dès qu'il s'agit d'autres ordres d'oiseaux.
Wolfgang Wiltschko lui-même échoue à généraliser sa théorie. Par exemple, en
1981, il tente de modifier le champ magnétique autour de pigeons en les
équipant d'aimants, puis les relâche sous un ciel couvert. Les oiseaux
semblent momentanément perturbés mais, curieusement, leur temps de retour
est identique à celui des témoins [6]. Des résultats confus, des expériences
parfois non reproductibles : la théorie du magnétisme a du mal à s'imposer
et laisse la communauté scientifique perplexe. En 1992, des éthologistes
italiens remettent en question l'expérience menée par Wolfgang Wiltschko sur
les pigeons, affirmant que la pose d'aimants ne perturberait pas une
éventuelle boussole magnétique mais dérangerait simplement les mécanismes
antistress de l'individu [7]. L'injection d'un calmant annihile en effet
toute désorientation. Des études récentes concernant l'impact des champs
magnétiques sur les êtres vivants tendent d'ailleurs à conforter leur
position. La théorie de la boussole et de la carte magnétique bat de l'aile
et devient sujet à polémiques. D'autant qu'une notion concurrente a,
entre-temps, gagné du terrain : l'orientation olfactive.
Dès 1970, une anatomiste américaine, Betsy Bang, avait mesuré la dimension
des bulbes olfactifs en fonction de la taille du cerveau chez 151 espèces
d'oiseaux. De 3 % chez les oiseaux forestiers, la taille relative des bulbes
olfactifs atteint 36 % chez le pétrel des neiges, une espèce de
l'Antarctique. Les oiseaux auraient-ils plus de flair qu'il n'y paraît ? Les
travaux de Betsy Bang donnent une idée au biologiste italien Floriano Papi.
En 1971, celui-ci coupe les nerfs olfactifs de pigeons puis les relâche à
bonne distance du pigeonnier. Résultat : les oiseaux sont incapables de
rentrer [8]. Idem lorsque les narines sont recouvertes de cire. Ainsi germe
le concept de carte olfactive. Cette dernière aurait l'allure d'une mosaïque
d'odeurs transportées par les vents jusqu'au pigeonnier. Hans Wallraff
affirme même que les pigeons utiliseraient les gradients d'odeur, pour
estimer les distances à parcourir [9].
D'expériences contradictoires en résultats contrecarrés, les recherches
continuent à piétiner. Aucune des parties ne parvient à démontrer clairement
la validité de son hypothèse. Les scientifiques essaient alors de trouver
des modèles d'étude simplifiés où certains biais environnementaux, comme la
présence de repères visuels, seraient éliminés. C'est pourquoi, dans les
années quatre-vingt-dix, les recherches se délocalisent du continent
européen vers l'Antarctique. À ces latitudes se trouvent en effet des
modèles d'étude appropriés : les albatros et les pétrels. Voiliers de haute
mer, ils ne regagnent la terre ferme que pour se reproduire, parfois après
des années passées en mer, zone dépourvue de tout repère visuel. De plus,
ils sont fidèles à leur partenaire et à leur terre de nidification. Une fois
la reproduction entamée, le couple se relaie à terre, l'un des deux couvant
l'oeuf pendant que l'autre part en mer s'alimenter, parfois pour de très
longs périples. En guise d'exemple, pour l'île de Crozet, un albatros
parcourt près de 1 500 à 2 000 kilomètres en pleine mer à chaque voyage
alimentaire, ce qui ne l'empêche pas de retrouver son site de nidification,
dont le diamètre n'excède pas 12 kilomètres [10] !
Ces allers-retours sont d'autant plus intéressants qu'ils ne sont pas le
fruit de simples trajets mémorisés. On sait depuis les années cinquante que
ces oiseaux de mer sont capables de retrouver leur chemin alors qu'ils sont
déplacés artificiellement.
Utilisant les bases scientifiques qu'ils possèdent dans les mers australes,
des chercheurs français commencent à tester les différentes hypothèses. Côté
magnétisme, le bilan est décevant : la pause d'aimants sur des albatros à
sourcils noirs [11] ou sur des pétrels à menton blanc [12] ne trouble
aucunement leur retour à la colonie. En mars 2003, une manipulation
similaire menée par Francesco Bonadonna sur de grands albatros dotés de GPS
ou de balises Argos semble confirmer qu'une perturbation du champ magnétique
ne modifie en rien les trajets effectués.
Côté olfaction, la récolte est plus fructueuse. L'anatomie des oiseaux n'y
est peut-être pas étrangère. Les albatros et les pétrels possèdent l'aire
olfactive (chambre et bulbe) la plus développée de tous les oiseaux : deux
imposantes narines en forme de tube longent leur bec proéminent. Une
spécificité qui leur a valu leur nom anglais de tube-nosed. Classiquement,
on attribue à la taille anormale des narines de ces oiseaux une fonction de
« baromètre »: elles permettraient une meilleure exploitation des courants
aériens via une mesure parfaite des variations de pression de l'air.
Cependant, la fonction d'olfaction de ces narines géantes a peut-être été
écartée trop vite. Il n'y a qu'à regarder les astuces utilisées par les
scientifiques pour prendre des clichés de ces oiseaux : de l'huile de foie
de morue dont l'odeur suffit pour s'attirer les faveurs du moindre pétrel
passant par là ! Des études récentes, menées dans l'archipel de Kerguelen, pointent un sens olfactif très développé chez des espèces comme le pétrel bleu, un oiseau qui ne regagne son terrier que de nuit. Privé d'odorat, ce dernier est incapable de retrouver son nid [13]. Dans une autre expérience,l'oiseau est enfermé dans un petit labyrinthe dont l'une des sorties débouche sur le terrier : le pétrel bleu retrouve rapidement son nid, et ce rien qu'à l'aide de son odorat [14].
Les oiseaux des mers du Sud auraient donc du nez. Tout de même, reste un point obscur propre à la théorie de l'olfaction. Quelles odeurs ou signaux chimiques ces oiseaux utilisent-ils pour s'orienter dans cette étendue océanique ? Les travaux de Gabrielle Nevitt, de l'université de Californie, donnent une première piste. En 1995, cette spécialiste des mécanismes de
recherche alimentaire parvient à attirer des oiseaux de haute mer avec du
dimethyl sulfide (DMS), un gaz normalement émis par le phytoplancton-- [15].
Une forte concentration de DMS marque une zone de forte productivité
océanique, là où les proies risquent d'être abondantes. « Les oiseaux
naviguent au travers d'un paysage olfactif avec des vallées de faible
concentration en DMS et des montagnes où le DMS est abondant »,
explique-t-elle [16]. Les zones de profusion de vie, riches en DMS, étant
souvent situées sur des remontées d'eau froide, elles sont relativement
fixes d'un point de vue géographique. Ces pics de DMS seraient donc
d'excellents repères pour les oiseaux. Le trajet entre le site de
nidification et la zone de pêche se ferait alors via l'utilisation d'un
gradient d'odeurs, croissant pour l'aller, décroissant pour le retour. Il
n'est pas non plus exclu que des substances chimiques venues des îles aident
à la navigation [17]. Des prélèvements de l'air de Crozet ou de Kerguelen
sont actuellement en cours d'analyse.
Faute de nouvelles espèces à étudier, les partisans du magnétisme
s'attellent à décrire le fonctionnement de l'une des rares boussoles
magnétiques identifiées, celle du rouge-gorge. À leur décharge, peut-être :
la difficulté du terrain et de la mise en évidence expérimentale des
mécanismes de navigation. Car, pour s'orienter, il est probable que les
oiseaux utilisent tout un assortiment de mécanismes, fondés sur les odeurs,
le Soleil ou le magnétisme. En fonction des conditions extérieures, les
oiseaux basculeraient de l'un à l'autre, d'où la difficulté d'identifier
chaque mécanisme séparément.
L'orientation olfactive, quant à elle, est aujourd'hui clairement démontrée
chez le pigeon, l'oiseau le plus étudié en matière d'orientation, ainsi que
chez le martinet ou l'étourneau. D'autres études, s'intéressant à
l'olfaction dans un sens plus large, continuent d'apporter de l'eau au
moulin de Wallraff et de Papi : de nombreux oiseaux, même ceux ne présentant
qu'un bulbe olfactif réduit, utilisent l'odorat pour choisir les plantes
utilisées dans la constitution de leur nid ou pour rechercher de la
nourriture [18]. Il semble donc difficile de continuer à affirmer que les
oiseaux n'ont pas de nez ! V. T et F. B. en deux mots Il y a 4 000 ans,
l'homme utilisait déjà les capacités d'orientation des pigeons voyageurs
pour transmettre ses messages. Pourtant, il n'a commencé à s'intéresser aux mécanismes impliqués dans ce « sixième » sens qu'au milieu du siècle
dernier. Pour s'orienter, les oiseaux utiliseraient des jeux de cartes et de
boussoles physiologiques. Si l'analogie semble anthropomorphique,
l'existence d'une boussole solaire a bel et bien été démontrée dans les
années cinquante. Reste à déterminer un système cartographique pour se
repérer dans l'espace. Des facultés magnétiques ont longtemps été avancées, mais une autre théorie, l'orientation par olfaction, pourrait être
prépondérante.

Viviane Thivent,Francesco Bonadonna
(Extrait de "La Recherche" du 1/11/2003)

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